Into the wild
Nous laissons Eva et l’aéroport pour nous enfoncer dans la forêt au pied du Mount Rainier le long de la route 410. Nous sommes donc à deux pour les quatre semaines à venir. En dépit de nos différences, nous sommes remarquablement d’accord sur la route à suivre dans le grand cadre mais aussi en détail sur le terrain. C’est sans doute dû à notre goût commun de la nature et à nos études de géographie et de cartographie.
En quittant l’agglomération, nous voyons des stands vendant des fusées de feux d’artifices, nous sommes à la veille de la fête nationale. Mais dès que nous sommes sur le route 410, la solitude nous reprend. Les arbres sont énormes et beaucoup plus grands qu’au Canada. On ne voit presque pas le ciel au-dessus de la route. Nous apprenons à faire des pauses régulièrement, car les distances sont facilement sous-estimées. Lors d’un premier arrêt au bord de la route, nous admirons les orchidées qui poussent dans la forêt.
Un autre arrêt nécessaire occasionne la jauge de carburant peu avant l’accès au National Forest autour du parc national. Nous sommes d’abord surpris par le petit trou derrière le bouchon du réservoir. Mais nous comprenons vite quand nous voyons le pistolet de distribution du sans-plomb (unleaded). Nous tentons de calculer la consommation du véhicule, mais nous nous perdons entre miles, gallons, litres et kilomètres. Il est cependant clair que notre voiture de location consomme beaucoup d’essence. Avec 11 cents par gallon ce n’est pas un problème de prix. Mais nous évoluons loin de la civilisation et nous devons vraiment faire le plein dès que possible. Cela vaut aussi pour notre réchaud à essence.
Nuit dans le Snoqualmie National Forest
Les campings se trouvent tous en pleine forêt et il fait donc vitre très sombre quand le soir arrive. La situation est rendu compliqué par notre mouvement irrégulier ouest-est, nous sommes souvent surpris par la nuit en changeant entre les fuseaux horaires. Mais bon, ici ce sont les arbres qui obstruent la lumière du jour. Le Visitor Center du Snoqualmie NF est fermé, mais nous trouvons quand même le premier camping. La tente a l’air minuscule sous les énormes douglas verts et les thuyas géants. Le prix standard de USD10.-, inclut seulement des tables de pique-nique, des emplacements délimités pour faire du feu et parfois un robinet. Dans les campings des National Parks et des National Forest, il n’y a jamais de douches ou autres services, ils ne sont jamais gardés, on paye par des enveloppes à jeter dans une boîte à lettre dédiée à l’entrée.
À la longue, nous aurons donc quelques problèmes à prendre des douches. Mais cette soirée, nous ne songeons même pas à un lavage dans la rivière White River toute proche car il fait sensiblement froid. Nous montons la tente et chauffons une soupe. Mais nous la mangeons dans la voiture pour nous tenir un peu chaud. Il n’y a pas de vent, mais l’humidité pleut littéralement des arbres. Lors d’une exploration de l’environnement proche du camping, nous nous rendons compte que la forêt naturelle est complètement embroussaillée.
Le lendemain du 4 juillet 1996, nous nous réveillons sans réveil comme souvent durant les semaines suivantes. Le soleil ne pénètre pas, mais les lourdes goûtes qui tombent des arbres finissent par nous réveiller. Il ne fait pas plus chaud que la veille et nous voyons que le ciel est voilé. Le petit déjeuner reste minimal car le banc en bois moite n’invite pas à nous asseoir. La nature est plus réveillée que nous: des tamias (type d’écureuils) et des oiseaux bleus se baladent autour de nous pour repérer les miettes que nous laissons.
Nous sommes confrontés à des problèmes que nous ne résoudrons jamais lors du rangement de nos affaires dans la voiture. Notre concept prévoyait de compléter nos rangements par des cartons que nous adapterons autour de la banquette arrière. Or, nous ne trouverons aucun carton aux supermarchés, on nous donne que des sacs en papier. Les sacs à dos, les vêtements, la tente et le reste de l’équipement technique se trouve dans le grand coffre (qui s’avère quand même trop petit). Les sacs à dos de voyage sont trop long pour être rangés à gauche et à droite, il y en donc un devant et un autre derrière. Nous échangeons l’ordre fraternellement à peu près deux fois par semaine.
On trouve donc un certain ordre dans le coffre, mais ce n’est pas du tout le cas pour l’habitacle et tout particulièrement la banquette arrière. On jette ici tout ce qui doit être facilement et vite accessible. Des emplacements assez fixes existent pour les couverts, les produits pour le petit déjeuner, les conserves. Mais le reste ne trouve jamais un ordre précis: appareils photo, beurre, cartes, céréales, fruits, imperméables, boissons, pulls, lait, sacs d’achat pleins. Il est inutile de dire que la recherche d’un objet précis peut être longue.
Peu à peu s’installe cependant une structure verticale: la plage arrière portera un chapeau de Christan (cependant seulement à partir de l’Arizona), des cartes trop grandes pour les ranger ailleurs, divers souvenirs botaniques et d’autres objets indéfinis. Derrière les sièges avant existe aussi une certaine logique, c’est l’emplacement des chaussures (sales à humides et dégelasses) et des bidons d’eau. On y place aussi les mets plus délicats comme le lait, le beurre et les fruits parce que nous découvrons après quelques jours que c’est l’endroit le plus frais du véhicule: le soleil n’y pénètre jamais et la climatisation y souffle bien, même si cela gèle les pieds.
Nous avons fini par tout ranger et nous nous remettons en route. Le premier trajet sera court. Aujourd’hui, Christian est la première fois au volant, mais il a su tirer des leçons des déboires d’André et il ne s’en sort pas mal.
Mount Rainier National Park
La limite entre le National Forest et le National Park n’est pas clairement marquée, ce n’est qu plus tard que nous pourrons acheter le Eagle Pass (Parks Pass annuel) qui se rentabilise dès que l’on entre dans au moins trois des parcs principaux. Il vaut pour le conducteur et les passagers, c’est plus généreux que sur nos entrées en Europe où il faut payer par passager, voiture et pneu. Il n’est cependant pas valable pour des parcs gérées pour des tribus amérindiennes comme le Monument Valley. Les State Parks, les National Recreation Areas et les National Forests sont en général gratuits. C’est dans ces derniers que l’on trouve souvent des campings vides quand ceux des parcs nationaux sont bondés.
Nous ne voyons rien aux premiers points de vue sur le volcan, les nuages couvent complètement le cône. Nous laissons donc le Sunrise Point de côté et nous montons au col Cayuse Pass (1430 mètres) où se trouve encore de la neige. Par la suite, nous descendons dans Cowlitz River Valley. Le soleil éclaire le paysage pendant quelques minutes, mais la montagne ne se découvre pas. Ce n’est qu’à la Stevens Canyon Entrance que nous pouvons acheter le Golden Eagle Pass.
De là, nous montons vers le Paradise Point. Mais les nuages restent épais, la montagne semble les fixer. Nous nous tournons donc vers les détails et comme il ne pleut pas, nous entreprenons une randonnée dans le Box Canyon. Ces gorges sombres sont humides et couvertes de mousses. Mais elles ne sont pas bien profondes. Les canyons suivants seront plus grands et nous finirons justement avec le Grand Canyon. Avec peu d’espoir, nous arrivons au Paradise Point, mais nous ne pouvons admirer que les immeubles au style alpin des années 1970. Il n’y a pas grand chose à voir dans le Visitor Center. Le film sur l’Emmons-Glacier est très court.
Nous nous arrêtons à un parking à l’écart de Paradise Creek pour le casse-croûte. Nous avons des sérieux problèmes avec le pain de mie très mou et le ce que les américains appellent fromage. Au fil du temps, nous trouverons du « swiss cheese », c’est un type Emmental avec au moins un certain goût, mais très cher. Par contre le pain indigeste nous accompagnera longtemps. Ce n’est qu’autour de San Francisco que nous trouverons des pains à peu près croustillants.
On voit que le ciel s’éclaircit du côté sud, donc là où le volcan ne se trouve pas. Mais nous voyons les pics escarpés de la Cascade Range (Tatoosh Range). Ressentant le besoin de bouger, on fait une autre petite randonnée. André souffre à chaque pas de la fin de la bronchite attrapée au Canada et combattue avec antibiotiques, mais il faut bien retrouver de l’énergie. Nous sommes début juillet, mais ici le printemps ne fait que commencer, les premières fleurs percent entre les tas de vieille neige. Quand on s’arrête, les marmottes s’approchent. Comme le Mount Rainier reste cachée, nous « gâchons » nos pellicules photo sur les torrents.
Parce que ce n’est qu’un petit détour, nous allons voir le Narada Fall haut de 50 mètres. Comme par miracle, nous avons du soleil. Nous commençons à rebrousser chemin et nous voulons profiter du temps gagné parce que le Mount Rainier se cache et avancer en direction du Yellowstone NP. Cependant, sur la petite route au nombreux virages, Christian fixe son rétroviseur et conduit dangereusement à gauche. Puis il freine sèchement, se gare et sort avec l’appareil photo. Un trou dans la couverture nuageuse montre une partie du Mont Rainier! Sous ces conditions, nous montons quand même au Sunrise Point (1950 mètres). C’est une route de 80 kilomètres et contrairement à son habitude, Christian ne ménage pas la voiture et fonce. C’est le bon choix. Nous arrivons en haut sur une route humide qui se met à fumer au soleil.
Nous montons à pied à l’Emmons Viewpoint. Les 4390 mètres du Mount Rainier ne sont plus si impressionnants parce que nous sommes déjà très en hauteur, mais nous voyons l’Emmons Glacier et le cône plat, donc les 3000 mètres restants jusqu’au sommet. Nous restons longtemps avec d’autres rares visiteurs et quelques chevreuils.
Nous partons au bon moment: juste après avoir rejoint la voiture, nous sommes pris dans une tempête de neige. Nous nous dépêchons de descendre de ces hauteurs et nous mettons le chauffage à la place de la climatisation. On quitte le parc national et les derniers lacs couverts de glace par le Chinook Pass (1660 mètres). La route 410 à l’est de la Cascade Range est sans trop de virages et elle nous mène rapidement vers le sud-est. Plus bas, la végétation est très sèche et le soleil tape de nouveau. Les arbres sont chétifs comme au Canada. À 100 kilomètres à l’est du sommet du Mount Rainier, nous nous retrouvons dans steppe très sèche.
Independence Day à Yakima
Le soir approche et nous cherchons un camping. En direction de Yakima, il y en a quelques privés (avec douche!), mais ils sont tous bondés d’américains, de drapeaux et de bière. Nous avançons donc jusqu’à Yakima, une ville dont nous ne savons rien sauf ce c’est le siège d’un clan amérindien. Le paysage reste sec et la route passe entre des prés dorés et des blocs de lave noire. Yakima est finalement une grande ville américaine classique au routes rectilignes et il est clair que nous ne trouverons pas de camping ici. Nous cherchons donc un motel. On laisse de côté ceux trop chers jusqu’à trouver un motel bien délabré à la hauteur de notre bourse. Mais en regardant de plus près, nous voyons qu’il doit être fermé depuis plusieurs années. Il se fait de plus en plus tard et nous prenons simplement le suivant à USD45,-. La piscine est pleine de chlore, nous l’ignorons donc. Mais pour ce prix, nous profitons pleinement de la chambre. Nous tendons une corde à linge à travers la pièce pour y faire sécher notre tente trempée de la nuit précédente. On prend cependant soit de fermer les rideaux.
Comme nous sommes dépensiers aujourd’hui, on va manger dans un « family restaurant » de bon niveau. Vers 21h30, nous partons à la recherche d’un supermarché, mais il règne une atmosphère bizarre dans la ville, beaucoup de voitures circulent hâtivement. Nous ignorons ce stress et faisons tranquillement nos courses. La caissière nous apprend alors qu’il y aura un grand feu d’artifice à 22 heures, donc dans peu de minutes! Avec une logique de géographes, nous déduisons que le feu d’artifice aura lieu là où toutes les voitures convergent. Nous nous rangeons dans ces colonnes mais à 21h50, nous abandonnons le cortège et nous cherchons une place ouverte avec une vue dans la direction désirée. La ville est très étendue avec beaucoup d’espace entre les maisons, mais toutes ces places sont plantés d’arbres pour rafraîchir les étés. Usant de nouveau de notre logique de géographes, nous cherchons le parking d’une école. D’abord nous sommes seuls, mais très vite d’autres voitures arrivent avec le même but. Tous se garent dans une direction bien précise sans respecter les marquages au sol. Sauf nous bien sûr. La spectacle est respectable pour une ville de province, il dure 25 minutes.
La photo est de travers car l’appareil est posé sur la voiture, nous n’avons pas de trépied.
La fin est bien orchestrée. Nous sommes les seul sortis de la voiture pour admirer le spectacle. Nous y sommes obligés parce que notre voiture n’est pas garée dans le bon sens pour regarder en restant assis. Il nous faut encore beaucoup apprendre de cette société automobile. Mais nous apprenons vite. À la fin du feu d’artifice, toutes les voitures de la ville semblent démarrer pour bouchonner lors du retour. Nous faisons de même, mais nous avons la chance d’être près du motel. Nous nous couchons crevés dans la chambre moite de la tente mise à sécher.
Le lendemain matin, le 5 juillet 1996 donc, nous voyons que la chambre ne dispose même pas de machine à café ou de bouilloire électrique comme c’était le cas au Canada. Toujours avec les rideaux fermés et le tente étendue, nous lançons notre réchaud à essence dans la chambre. C’est bien sûr pas du tout conseillé car dangereux et très mal odorant, mais on a du lait frais et le café a besoin d’eau chaude. Le lait et le beurre seront présent à presque tous les petits déjeuners, même dans les zones les plus chaudes. C’est le beurre qui nous abandonne le plus souvent parce que l’on n’en trouve que des grands morceaux de 1/2lb (250g). Mais nous ne voulons pas nous en passer.
No Comments