Après des années de tentatives avortées, nous nous partons ce matin en bateau pour le phare de Cordouan. Alex rêve de ce moment depuis bien longtemps. Bien que voyageant beaucoup, cette région n’est pas vraiment dans notre radar habituel, même pas pour les passages. La dernière fois, c’était fin août 2012, nous avions tenté de réserver une semaine à l’avance, mais en vain, toutes les places étaient prises.
Cette fois-ci, on a eu encore un délai imprévu puisqu’hier notre départ est repoussé à aujourd’hui par manque de clients par les Vedettes la Bohême. Mais le trajet reste quand même chaotique hors saison: d’une part l’heure du départ à Port Médoc n’est qu’indicative, puis on n’informe pas les passagers du chemin qu’ils auront à marcher sur l’île par mer basse. C’est un mélange de sable dur, de trous d’eau de 50 centimètres, d’algues et de rochers calcaires coupants. La plupart des gens n’ont pas de chaussures pour l’eau, pourtant c’est fortement recommandé. Au débarquement au phare, on nous annonce un temps fixe de rembarquement, cependant cette heure est avancée en catastrophe d’une trentaine de minutes parce que l’organisation avait sous-estimé la rapidité de la mer montante (un comble quand même pour des gens du lieu). Mais bon, ce sont les aléas des voyages hors saison.
Les guides du phare sont très engagés et expliquent les moindres détails. Ils logent comme les gardiens, mais le phare est automatisé depuis longtemps.
Le temps est très couvert, la visibilité reste moyenne. Au moins, il ne pleut pas. Ci-bas le bateau qui nous amène vers la plateau de Corduan au large de l’estuaire de la Gironde. Nous avons réservé la traversée plusieurs mois à l’avance, pour avoir une place fin mai, car ce n’est pas du tout la saison ici et les passages sont rares.
L’excursion dure près de trois heures, y compris l’approche en bateau vers le phare à quelques cinq kilomètres au large des côtes à partir de Port Médoc. Le convoi comprend un véhicule amphibie qui s’avère bien moins utile qu’il n’en a l’air. Il a trois roues et une seule est motorisée. Pour la traversée, il est tiré par la vedette. Les excursions touristiques ne peuvent approcher le phare que par marée basse.
Sortis de l’estuaire, nous voyons retour vers les plages du Verdon-sur-Mer. Le pays très plat disparaît à vue d’œil, en même temps nous ne distinguons pas encore le phare.
Ce n’est que grâce au téléobjectif et au post-traitement que le phare se rapproche.
Sur la face sud-est est placés la porte principale, c’est la face détournée de l’océan ouvert et des vents dominants.
Le phare est un monument voulant démontrer la force de la France mais il est en même fort utile en un point périlleux de passages croissants. C’est en quelque sorte un message géopolitique. Le nom « phare des rois » date de l’époque car c’est Louis XIV en personne qui insiste à réaliser une construction représentative et fonctionnelle pour impressionner les étrangers arrivant par cette voie en France.
Nous ne sommes pas les premiers arrivés, mais il y a toujours un seul groupe dans le phare. C’est bien une chose négative que nous avons remarqué en réservant notre traversée avant de partir, il y a plusieurs navettes privées qui font le trajet, mais il n’y a pas d’enregistrement commun. Ainsi ils ne mettent pas leurs clients en commun pour assurer des départs hors saison.
On nous débarque par une longue passerelle directement sur un banc de sable formé par la marée et les vagues. C’est un paysage dunaire de sable mouillée et donc très dur. À condition de faire des détours, on passe ici encore avec des chaussures normales sans se mouiller. C’est aussi le genre de terrain sur lequel nous roulons lors du retour avec l’engin amphibie lors de la marée montante. Ce bac roulant peine beaucoup sur ce terrain tant qu’il ne flotte pas.
Après les bancs de sables suit un paysage karstique décomposé et recouvert d’algues. Les parties emmargées sont glissantes et beaucoup trop distantes pour passer au sec. Il faut donc marcher dans l’eau et ces grandes flaques n’ont plus un fond de sable mais de roche. Il faut des chaussures d’eau ou des vieilles baskets. Et c’est ce qui n’a pas été communiqué par le transporteur. Une partie des gens passe pieds nus et se coupe les pieds, l’autre mouille simplement des chaussures. Or, dans le phare, il faut avoir des chaussures sèches. Les guides indiquent gracieusement que l’on peut marcher pieds nus, mais il fait peut être 15°C et le sol est encore plus frais, la visite dure plus d’une heure.
Ce n’est pas génial donc à moins de connaître ou de présumer le problème et d’emporter une deuxième paire de chaussures et de chaussettes comme nous le faisons. Mais cela reste littéralement casse-pieds car nous ne sommes pas sûrs au début et nous changeons nos chaussures sur le sable mouillé. Il faut préciser que l’aller et le retour au bateau dépendent des marées, des vents et du niveau général de la mer. On nous assure cependant, qu’un passage sur l’estran est presque toujours obligatoire.
André se renseigne auprès des guides pourquoi le chemin dallé submersible ne se trouve que dans une direction et uniquement sur la partie rocheuse. Ils disent qu’il est impossible d’installer un passage stabilisé sur le sable car ces bancs de sable se transforment d’année en année, voire de marée en marée. Le chemin dallé est historique et aboutissant actuellement sur le sable, il n’est d’aucune utilité pour l’approvisionnement du phare.
La cour du phare
Hormis l’échelle extérieure, il n’y a qu’un passage dans la cuirasse de protection autour du phare. Par marée haute, l’eau monte dans le passage, mais ne déborde pas dans la cour. Près de l’entrée se trouve aussi la dernière version de chariot pour ramener des ravitaillements de l’extérieur. Ce chariot ne passe pas par la porte des marées, il est levé avec une grue par dessus le bouclier extérieur. Aux dires des guides du phare, il n’est que rarement utilisé, on tente de ravitailler le phare par mer haute ou par hélicoptère.
En bas à gauche est la face du phare exposée à la mer ouverte.
Ces fenêtres comblées en bas donnaient sur la chapelle, mais elles ont dû être fermés lors du rehaussement de 1790 pour des raisons de stabilité de l’édifice.
Il s’agit du plus vieux phare de France encore en service actif. À l’époque des phases de construction, on amenait les pierres brutes en bateau et tous les ajustements sont taillés sur place, sous le vent et au gré des marées.
Dans la petite cour, on colle littéralement à la tour du phare, on ne peut pas pas prendre beaucoup de recul. Mais c’est l’endroit où le groupe attend les derniers arrivants et où l’on laisse ses affaires mouillés. Avec la météo de ce jour, rien ne sèche bien sûr.
La cuirasse de protection est surmontée des abris des gardiens et des locaux techniques qui sont donc tous extérieurs à la tour du phare. Pourtant, la tour présente des chambres bien grandes aussi. Sur la face arrière, les locaux ont des cheminées en inox sur le toit. Il s’agit de la chambre des générateurs diesel. André interroge aussi là dessus les guides car il trouve aberrant que ce système ancien ait été conservé lors de la rénovation à partir de 2005. On lui dit qu’il est impossible de poser un câble sous-marin vers le phare à cause des changements déjà évoqués des bancs de sable et les passages des navires. On ne croit pas trop à cette argumentation, car on pose bien des câbles sous-marins un peu partout dans le monde. C’est bien sûr aussi une question de coûts vu que la consommation sur place est limitée et qu’elle ne risque pas d’augmenter gravement dans le futur.
Le vestibule du rez-de-chaussée
Nous entrons finalement par la seule porte dans le phare en style classiciste. Nous ne sommes pas sûrs s’il y fait plus chaud que dehors, il y a en tout cas moins de vent dedans.
Une des premières installations présentés est la fontaine, visible sur la photo gauche ci-bas. Pendant longtemps, on recueillait ici l’eau de pluie ruisselant le long de la tour du phare. À ces eaux de pluie se mélange aussi l’embrun et les sels déposés sur la façade de la tour, cette eau est donc toujours salée et à peine buvable.
La photo en bas à droite montre l’accès à l’escalier en colimaçon pour monter dans les premiers étages. Au dessus de la porte rapelle une inscription que le phare de Cordouan « a été restauré sous le règne de Napoléon III en MDCCCLV » (1855).
Cette première chambre présente des murs très épais qui soutiennent l’ensemble de la tour. On y montre aussi l’aspect du phare dans sa première version. Il sera réhaussé en 1790.
On rénove les structures après 2005 et depuis, on s’occupe principalement des rénovations extérieures. L’exemple montre la forte érosion d’une tête exposée face aux vents dominants. Lors de la visite du phare en 2018, on a l’impression que l’on à encore rien rénové à l’intérieur.
Premier étage avec les appartements du roi
Il s’agit d’une grande chambre en plan de croix, les coins restants donnant sur des petites chambres annexes dont deux permentent de sortir sur la première terrasse qui sert à recueillir les eaux de pluie.
La cheminée de gauche n’est que factice, celle de droite n’a que très rarement servi. Aucun roi n’a logé ici.
Pourtant leurs monogrammes sont ici: LMT vaut pour Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche, régnant lors de la construction du phare. LM est pour Louis XV et Marie Leszczynska de Pologne qui règnent lors de la première rénovation du phare.
Comme il n’y a jamais eu de roi ici, on stockait du matériel pour le phare. En bas à droite un meuble qui ne s’ouvre que par le haut et qui est rempli d’une bassine en plomb, il s’agit du réservoir à huile du phare avant son électrisation.
Deuxième étage avec la chapelle royale
Le texte peu compréhensible au-dessus du buste de Louis De Foix: Quand j’admire ravi cest oeuvre ravi en mon courage mon. de foix, mon esprit est en estonnement porté dans les pensers de ton entendement. le gentil ingénieux de ce superbe ouvrage, là il discourt en luy et d’un muet langage te va louant subtil en ce point mesmement que tu brides les flots du grandueux élément et du mutin Neptune. la tempeste et l’orage, ô trois et quatre fois bien heureux ton esprit de ce qu’au front dressé ce phare. il entreprit pour se perpétuer dans l’heureuse mémoire. tu t’es acquis par là un honneur infini qui ne finira point que ce phare de gloire le monde finissant ne se rende finy.
Sur la photo en bas à gauche: la statue de Marie tient un modèle de phare dans la main droite.
Les vitraux ont été réalisés par le maître-verrier Lobin en 1855.
Les orifices circulaires au sommet de la voûte et au sol servaient de puits de levage pour les matériaux de construction lors du rehaussement de la tour en 1790.
Troisième étage avec le début de l’escalier hélicoïdal
Cet étage est une grande salle lumineuse, dite Salle des Girondins ou des Bordelais, elle est pavée de marbre gris de Sainte-Anne et de marbre noir de Belgique. Il s’agit du premier niveau issu des travaux de surélévation du phare menés par Joseph Teulère à la fin du 18e siècle et depuis lequel on peut observer l’architecture complexe de la tour et du large escalier qui mène à la lanterne.
Cet escalier hélicoïdal n’est pas un effet de style, mais une nécessité statique. Jusqu’ici, on montait dans un escalier en colimaçon décentrée et accolé à une paroi, mais cette cage d’escalier ne supporte plus de poids supplémentaire. Débuter une autre section d’escalier en colimaçon ne marche pas non plus parce qu’il faut garder les planchers entre les étages aussi légers que possible et il est difficile de renforcer celui de la chapelle au-dessous. Les ingénieurs optent donc pour la solution d’un escalier intégré dans la paroi du cylindre et faisant partie de la structure portante de la tour. Cela donne les effets remarquables de pierres taillées et ajustés aux passages des niveaux.
Quatrième étage ou salle du contre-poids
Cette pièce ressemble très fort à la suivante. L’étage sert de palier.
Cinquième étage ou Salle des Lampes
Jusqu’à l’électrification en 1948, on pouvait monte les combustibles depuis le rez-de-chaussée à travers les puits. Les orifices ronds perçants tous ces étages ont été aménagés pour le rehaussement de la tour dès 1782.
On sent nettement que le diamètre de la tour se rétrécit vers le haut.
Le plan d’évacuation est aussi ridicule que celui du phare du Verdon-sur-Mer.
Sixième étage ou salle de la veille
Nous sommes ici directement sous la lanterne, c’est la plus petite pièce de la tour. L’escalier montant vers la lanterne passe autour. Contrairement aux autres pièces, elle est entièrement couverte de lambris et le sol est dité d’un parquet. On tentait ainsi d’isoler et d’insonoriser la petite chambre de quart où les gardiens se tenaient lors de leurs heures de service. Autrefois, la salle était garnie de deux lits avec alcôves pour l’usage des gardiens.
En matière de niveaux, cette salle ne constitue pas un étage en soi.
Septième étage avec la lanterne
Contrairement à un phare côtier, la vue n’est pas époustouflante du Phare de Cordouan, pourtant la lentille est à 60 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les côtes sont loin et toutes très basses, nous nous contentons donc d’admirer la lentille et en bas le Plateau de Cardouan avec ses bancs de sable.
Il n’y a plus de cache et de mécanisme de rotation parce que la lumière de 250 watts clignote par un pilotage électronique. Comme il n’y a pas de soleil, la lanterne n’est pas voilée. Elle semble ici très fine et légère, mais ce n’est qu’un effet optique.
Nous sommes un groupe d’une vingtaine de personnes et pour prendre des photos, nous tentons de rester en fin de groupe afin d’avoir les pièces vides de personnes. Nous faisons de même pour la lanterne où la place est de toute manière limitée et c’est justement là haut que retentit l’appel que nous devons regagner le bateau plus tôt que prévu parce que la marée monte. Nous nous empressons donc de descendre et de prendre encore quelques photos en descendant (elles sont toutes rangées plus haut). On sort vraiment en dernier de l’enceinte et on voit l’eau arriver déjà à la jetée dallée.
La jetée empierrée
Sur cette jetée ont été prises les photos connues avec un gardien qui tire le chariot avec les approvisionnements. Comme décrit plus haut, cela n’arrive plus si souvent. Elle est sous l’eau à mer haute et les algues s’y fixent aussi, les bords sont particulièrement glissants. Le phare est construit sur la partie centrale du Plateau de Cordouan, c’est aussi le point le plus haut. La jetée est en légère descente.
Comme visible plus haut, elle aboutit en 2018 au banc de sable. Mais comme la marée est montée très vite (ou que les organisateurs de la traversée se sont trompés de jour), nous n’allons qu’au bout de la jetée pour nous retrouver au bord de l’eau. On vient alors nous chercher avec le bac amphibie qui peine ensuite à passer sur les irrégularités des bancs de sable. Nous rejoignons donc ainsi le bateau qui nous ramène au Port Médoc. Reste à savoir pourquoi on nous a fait marcher à travers la rocaille truffée de trous s’eau et d’algues à l’aller sans nous faire passer que par le sable. L’organisation est donc un peu chaotique.
Lorsque nous sommes sur le bateau, le chemin empierré est déjà complètement sous l’eau est les gardiens ferment la porte de marée.
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