Notre idée, recherché bien avant notre départ pour l’île de Crète, consiste à descendre les Gorges de Samaria, de longer la côte sud vers la Plage de Sentoni et de remonter au point de départ par les Gorges de Tripiti et le col Afchénas (Αυχένας) à 1706 mètres d’altitude.
Le sentier européen E4, par lequel nous arrivons, se trouve à la hauteur des Gorges de Tripiti au niveau de la mer. Il y a donc pas mal de dénivelé à franchir et ce sur le terrain pénible d’un lit de rivière asséché. Il est composé de pierres variant de la taille de balles de basket à des balles de tennis et le tout est assez meuble. Sachant que nous avons déjà deux longs jours de randonnée dans les jambes et que nous trimbalons aussi cinq litres d’eau, des vivres la tente etc. avec nous, les conditions difficiles de la remontée le fatidique troisième jour sont en grande partie responsables de notre échec. Nous sommes surtout trop fatigués pour rechercher la route au point crucial.
La montée jusqu’au passage clé se déroule sur 6,5 kilomètres et 850 mètres de dénivelé dans le lit de la rivière asséchée. Il y a cinq marches plus raides de plusieurs dizaines de mètres de haut, on peut tous les contourner par des sentiers muletiers anciens. Il n’y aucune goutte d’eau dans toute cette partie de gorges. Nous avons repéré des zones potentiellement humides seulement à plusieurs centaines de mètres au-dessus du fond de la vallée, elle donc absolument injoignables. Tous les trous d’eau potentiels dans le lit de la rivière sont à sec ce début mai. Nous soulevons quelques pierres aux endroits bas et propices, mais tout y sec.
En 2005, il y a certes internet et quelques descriptions en ligne, mais les cartes aériennes de cette région sont de mauvaise qualité et surtout nous ne trouvons pas de tracé GPS de quelqu’un qui est passé avant nous.
Nous nous basons donc sur des cartes que nous trouvons, dont une des troupes d’occupation allemandes nazies de 1944 au 25000e, elle a l’air bien, mais elle a été apparemment crée à partir de photos aériennes sans vérification sur le terrain. Une carte récente existe de l’éditeur allemand Harms dont les sources sont aussi très floues. Nous incluons ici des extraits car les représentations du terrain sont dans les deux cas fausses.
Dans la carte de Harms, la bifurcation de la vallée vers 850 mètres semble donner sur des vallons de taille comparable, or dans le terrain celui à l’ouest est un canyon étroit et à l’ouest se trouve une vallée beaucoup plus large et ouverte. D’autres vallons latéraux sont aussi représentés de manière uniforme alors qu’ils diffèrent grandement les uns des autres. Il y aurait des cartes de l’armée grecque, mais elles restent sous scellées par peur d’une invasion turque!
De la Plage de Sentoni aux Gorges de Tripiti
Le matin, l’âne de l’apiculteur se chauffe au soleil sur la plage. Il sert à l’apiculteur qui est présent ce jour, il est paisible mais aussi curieux.
Nous partons en direction du débouché des Gorges de Tripiti. Le sentier reste très près de la mer et au pied des gorges nous attendent des gros rochers entre lesquels il faut passer au plus près de l’eau. Plus loin suit même une arche naturelle. Cette zone est difficile à passer par mer rentrante, on peut contourner ce passage en montant des ruches à l’ouest de la Plage de Sentoni et en restant au bord de la marche rocheuse. On avance alors à une vingtaine de mètres au-dessus de la mer vers l’estuaire des gorges. Pour descendre de l’autre côté c’est un tout autre défi: il s’agit d’une échelle en acier en plusieurs segments qui pendule dans la paroi.
Ces arches et grottes offrent de l’ombre, mais les chèvres connaissent aussi ces endroits et cela sent en conséquence.
La partie basse des Gorges de Tripiti
Dans la partie basse des gorges se trouvent des grillages qui froment des enclos pour des chèvres, début mai 2005, nous ne voyons cependant pas de berger ni chèvres en bas. Il y a des cabanes et des plantations délaissés. Tout en bas se trouve une maison inhabitée.
Il n’y a pas de chemin, on marche sur des pierres de taille différente qui remplissent le lit de la rivière asséchée. La situation que l’on voit sur la photo en bas (prise 30 minutes après être partis de la mer) se poursuit tout le long des premiers 850 mètres de dénivelé. Il n’y a pas d’alternative à cette chemin, toutes les autres tentatives se terminent dans la garrigue ou devant une paroi rocheuse verticale.
La photo montre aussi que la vallée tourne vers la droite et que le canyon se resserre assez vite.
Il est inutile de chercher à marcher à l’ombre des pins et des cyprès. Leurs branches touchent presque le sol et les ronces y sont très denses.
Les vallons latéraux ne se prêtent pas à sortir des gorges. Ils sont très raides et les chutes de pierres y sont fréquentes. Souvent ce sont les chèvres sauvages qui font tomber des pierres. Dans la vallée principale se trouvent assez de terrasses plus hautes qui peuvent servir de refuge en cas de crue imprévue.
Dès que l’on s’engage dans la partie resserrée, la pente devient plus raide et la marche plus difficile. Les parties étroites raides ou avec marche rocheuse alternent avec des parties plus larges et lus plates.
En bas deux vues retour.
Passages resserrés et raides
Nous sommes à une heure de la mer et vers 300 mètres d’altitude.
La photo du montre le premier goulot comblé de rochers. On trouve à tous ces endroits des restes d’anciens chemins de bergers ou de chasseurs. Ici on passe mieux à droite mais sans monter trop haut car de l’autre côté tombent des pierres.
Les deux photos en bas montrent la vue retour sur la même portion de la vallée que sur la photo du haut.
Les deux photos ci-bas montrent ce qui reste du chemin.
Vers 400 mètres d’altitude et à 2h30 de la mer, nous rencontrons des chèvres noires semi-sauvages dans le couloir visible en bas (vue retour). Ces animaux sont assez grands et dotes de cornes, nous ne sommes pas très rassurés. Mais le réel danger vient quand ils sont dans les versants des gorges et qu’elles bousculent des pierres qui tombent alors au fond.
Les chèvres noires, blanches ou brunes ne sont pas sauvages. Il y a des chèvres réellement sauvages en Crète, elles ont un teint brun-gris et sont beaucoup plus farouches que leurs consœurs. Nous en entreverrons quelques unes au-dessus de 900 mètres d’altitude, mais elles sont bien trop rapides pour les prendre en photo.
Sur une partie assez plate, nous voyons le Gingilos devant (photo en bas à gauche) Notre route devra passer dans le col à gauche du sommet. Ces plateau alpins sont faciles, le problème est de passer des gorges jusqu’à là haut
Vingt minutes plus tard et à 550 mètres d’altitude, on se heurte à un passage rocheux que l’on ne passe pas directement (photo en haut à droite). Quand on voit ce mir, il faut reculer et chercher un cairn à droite. On monte d’abord dans un vallon latéral parsemé de pierres qui semblent fraîchmenet tombées, par la suite on arrive sur un large rebord boisé qui ramène vers le lit de rivière. C’est l’endroit que nous fixerons comme camp en revenant le soir.
Il ne faut pas tenter suivre la trace des chèvres, elles montent de manière très téméraire en face.
Vers 650 mètres d’altitude, les gorges s’élargissent et restent longtemps ainsi. La pente reste forte et pénible. On voit des restes de chemin sur les versants verts à droite, il s’agit d’anciennes terrasses de culture, ces sentes ne mènent nulle part.
Le point crucial vers 800 mètres d’altitude
Vers midi et demi, donc après cinq heures de marche dans le lit de rivière et vers 800 mètres d’altitude, nous arrivons au point fatidique de cette journée bien visible dans la photo en bas. Cela a l’air tout simple avec le avec le recul, mais sur place nous sommes fatigués et surtout déçus que nous n’avons franchi que si peu de distance. Au lieu de faire une longue pause pour reprendre de forces, nous nous lanons directement à la recherche. Nous savons d’anciennes descriptions que nous devons monter dans l’arête rocheuse que l’on voit au centre de la photo et que ces cairns indiquent la voie à suivre. Nous ne savons cependant pas qu’il faut monter réellement en haut de la crête et surtout, il n’y a pas de cairns.
Nous explorons d’abord le vrai canyon dans les gorges, plutôt par curiosité. Il de trouve derrière le grand arbre et avant l’arête à gauche. C’est un couloir impressionnant, mais on n’avance pas bien loin, d’énormes blocs forment des marches gigantesques infranchissables sans équipement d’escalade. Puis aucune des descriptions que nous avons parle d’un tel canyon à passer.
Dans le canyon se trouvent des mousses humides, mais nous ne trouvons pas assez d’eau pour en puiser sérieusement.
Nous ressortons du canyon et tentons de repérer l’accès à l’arête rocheuse. Après une marche de terrain assez facile, la pente est très raide et parsemé de gros rochers et de quelques arbres qui aident à se tenir. Le terrain semble comme labouré, la terre est arrachée par endroits. Cela nous semble trop escarpé pour être le chemin. Or c’est bien par là qu’il aurait fallu monter, donc à gauche de la vallée principale et à droite du canyon.
Nous ressortons donc donc dans la vallée principale. C’est un immense champ de pierres charriés par la rivière intermittente. Les cartes que nous avons nous laissent supposer que l’on peut continuer à monter ici et tourner à gauche plus tard. Mais nous n’avons pas d’autre information et nous craignons d’arriver dans un cirque duquel on ne pourra pas sortir vers le nord.
On revient donc vers l’arête rocheuse et on fait l’erreur de monter à droite sous celle-ci. Il s’agit d’un éboulis dépassant les 40° de pente. Des pins y poussent mais ils sont trop espacés pour qu’ils aident à monter. Quand on détache une pierre, elle tombe tout en bas sans s’arrêter. André monte ici un bon quart d’heure vers 860 mètres d’altitude, mais revient sans rien trouver de concluant. En effet, on ne peut pas rejoindre la crête par ici.
La capture ci-bas de Google Earth montre en jaune nos tentatives et en rouge un tracé de quelqu’un qui est passé une année plus tard.
On nous a confirmé par la suite, qu’aucun touriste n’est passé par cette voie la première fois sans guide, Il y avait des cairns, mais il semble que ces indicateurs aient glissés par des éboulements, la neige ou le passage des chèvres. Nous nous trouvons certes au bon endroit entre le canyon et la vallée plus large, mais la situation y est confuse. Des glissements récents dans une pente vraiment raide rendent toute exploration pénible. Après réflexion et après discussion avec d’autres randonneurs après le retour, nous sommes sûrs que nous aurions dû monter plus à gauche dans les rochers et ne pas tenter de remonter les éboulis sous les pins.
Décision de retourner
Ne trouvant pas le passage et ayant comme seules options de rechercher dans la crête ou de dévier plus largement en terrain totalement inconnu à l’est, nous posons nos sacs pour compter nos réserves en eau et vivres. Il ne nous en reste pas trop car nous avons prévu d’arriver aujourd’hui au moins en vue du col. C’est un planning très ambitieux, mais la journée est encore assez longe et soi nous trouvions le passage, nous mobiliserons les forces nécessaires pour monter les dernier 900 mètres de dénivelé.
Nous avons déjà perdu 1h30 à la recherche du passage, en investissant une heure de plus à la recherche, nous n’arriverions pas à sortir du terrain rocheux de la crête à la lumière du jour. Cela et le manque d’eau nous convainquent de battre retraite. Ce n’est pas sans risque. D’une part nous devons passer une nuit dans les gorges avec les chèvres, d’autre part nous devons trouver un bateau-taxi qui nous ramène à Sougia. Nous avons des numéros, mais nous ne captons rien dans les gorges, ce ne sera qu’en bord de mer que nous saurons si on peut venir nous chercher. L’alternative serait de marcher encore quatre heures de plus dans cette direction.
Camp dans les Gorges de Tripiti vers 580 mètres
Nous retournons donc à un rebord plat couvert de terre et de beaucoup d’aiguilles de pin vers une altitude de 580 mètres. Le sol est couvert de pierres tombés de la paroi rocheuse plus haut, mais nous nous plaçons derrière un gros rocher qui nous sert de bouclier. Un peu plus haut se trouve une vieille cabane de berger, mais elle ne permet plus de s’abriter. Durant la nuit nous entendrons des pierres tomber, mais comme nous sommes dans les gorges, nous n’arrivons pas à localiser ces chutes de pierres. Il n’a pas vraiment un meilleur endroit pour monter sa tente en un endroit plat et mou mis à part peut-être les anciennes terrasses où nous avons fait demi-tour. Mais nous voulons faire un peu de chemin retour car nous ne savons pas ce qui nous attend demain.
André n’est évidemment pas content comme on peut le voir sur la photo. Il a pourtant de l’expérience avec les tours expérimentaux qui échouent assez souvent, mais ici pèse aussi l’incertitude du retour.
Au début, nous avons chaud comme toute la journée, mais quand le soleil disparaît derrière la crète, il fait vite frais. Les habits sur nos corps humides de transpiration ne chauffent pas vraiment. Ce ne sera que plus tard dans les sacs de couchage que nous retrouverons un peu de chaleur.
Avant de nous coucher, nous mangeons cependant. Nous avons faim et soif, mais nous ne pouvons pas manger et boire comme nous voulons, nous devons contingenter nos réserves! Nous avons avons au moins deux heures de marche pour retourner à la mer et là nous devons peut-être attendre plusieurs heures le bateau ou, pire, rejoindre Sougia à pied. Il nous restent des tomates et du fromage que des randonneurs nous ont offert la veille, quelques tranches de pain, deux barres énergétiques et du sel. En matière d’eau, il nous reste trois litres. Tout ceci avant le dîner.
Retour à la mer
Le seul avantage de retourner sur nos pas est de connaître le chemin et les passages de contournement. Le terrain reste pénible et les grands galets ne sont pas beaucoup mieux en descente.
Nous voilà déjà vers 270 mètres d’altitude. La chaleur reprend et nous sentons déjà la mer. Nous ne captons toujours aucun réseau pour appeler un beteau-taxi.
Enfin de retour à la mer. À gauche le rocher qui barre le passage aisé vers l’est et à droite a maison d’un riche grec qui s’est réalisé son rêve en construisant ici une villa. Mais avec la senteur des chèvres, ce n’est peut être pas le vrai rêve.
Revenus à la mer, nous avons du réseau et nous arrivons à joindre le bateau-taxi qui vient nous chercher une heure plus tard. On paye EUR35 pour nous deux et une dizaine de minutes de trajet. Nous n’avons donc pas besoin de creuser les galets de la Plage de Sentoni à la recherche d’un peu d’eau.
En arrivant à Sougia, nous avons le problème que notre voiture de location se trouve en haut des Gorges de Samaria, où nous l’avons laissé deux jours plus tôt. Mais le conducteur du taxi-bateau fait aussi taxi terrestre. Deuxième problème: il est 10 heures du matin et nous avons une faim de loup. Notre conducteur combine nos deux demandes et nous organise un restaurant en bord de mer qui cuisine exprès pour nous à cette heure précoce et il vient nous chercher après pour nous ramener à Omalos.
Nous revenons à notre hôtel du premier soir où nous avons laissés nos valises et après une longue douche, nous mangeons une deuxième fois à midi. Nous sommes à bout de force et tombons dans le lit dans l’après-midi pour nous réveiller le matin suivant. Quelle aventure ces trois jours!
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